Comment contredire le second principe de la thermodynamique
by Olivier Cleynen
Depuis que j’ai écrit un livre de thermodynamique, je reçois deux ou trois fois par an un e‑mail dans lequel, en substance, quelqu’un détaille un procédé ou une expérience qui va à l’encontre du second principe de la thermodynamique, avant de me demander ce que j’en pense. Je vais essayer de répondre ici de façon la plus générale possible.
La recette est la suivante. On part d’une situation quelconque dans laquelle il y a une partie froide, une partie chaude. On procède à une transformation spéciale de matière ou d’énergie. Quelquefois, on inclut un peu de poudre en faisant un passage par un domaine annexe (électromagnétisme, mécanique des fluides). À la fin, de la chaleur a été transportée de la partie froide vers la partie chaude, sans apporter d’énergie de l’extérieur. La conclusion est qu’il existe, donc, des exceptions au second principe de la thermodynamique — voyez-vous ?
La raison pour laquelle on me demande de venir prouver que le second principe s’applique bien partout et à tout moment, c’est qu’on le décrit généralement très mal dans la littérature (je suis conscient de faire partie du problème). À chaque fois, il s’agit d’une sorte de précepte compliqué et on l’assène (depuis le tout début avec la publication de Clausius de 1865) avec un trémolo solennel.
Le second principe n’est pourtant pas bien différent du premier principe, en cela qu’il exprime indiscutablement quelque chose de très mystérieux mais très simple. Nous avons une perception très directe et intime de ces deux phénomènes : d’une part il faut fournir un effort pour grimper un escalier, et d’autre part, on ne récupère pas cet effort en le redescendant. Un bébé sur sa chaise le comprend déjà : il jette le hochet par terre précisément parce que le hochet ne remonte pas tout seul. Il faut qu’un adulte le ramasse, ce qui est assurément rigolo.
Au fur et à mesure que nous explorons notre univers, nous ressentons le besoin d’expliciter ces deux ressentis et de les associer à des descriptions quantifiables : je veux savoir combien de bois il faut pour me chauffer, la taille de la batterie dont cet appareil a besoin, la puissance maximale de cette éolienne, etc. Plus nous progressons, et plus nous rajoutons des expressions : la liste des formes d’énergie n’arrête pas de s’allonger, tout comme celle des quantifications des différences d’entropie. Ce que ces expressions racontent, en revanche, ne change pas : il ne s’agit ni plus ni moins que de notre façon de « lire » les transformations de l’univers, de décrire ce qui est possible.
Répondons donc à la question : telle ou telle expérience conceptuelle met-elle en évidence une faille dans le second principe de la thermodynamique ? Non. On ne peut pas prouver le contraire d’un principe avec une expérience de la pensée. Je ne veux absolument pas condamner le fait d’imaginer de telles expériences : au contraire, c’est tout le plaisir de faire de la physique, et la meilleure façon d’apprendre (découvrir le démon de Maxwell, par exemple, c’est tout simplement jubilatoire). Mais devant une expérience de la pensée qui contredit un principe, on répondra invariablement : c’est impossible parce que cela contredit le principe. La seule chose qui pourrait démonter un principe, c’est une expérience concrète, une série de mesures expérimentales de la réalité.
Voici donc une petite checklist à parcourir pour démolir efficacement le second principe de la thermodynamique :
- Nettoyez votre chemin de raisonnement de tous les procédés et de tout le vocabulaire superflu. S’il y a quatre bidules à la chaîne dans votre expérience, c’est que vous en avez trois de trop.
- Prêtez attention aux changements d’échelle. Les outils que nous utilisons pour décrire un phénomène à une échelle ne fonctionnent pas toujours pour d’autres. Par exemple, mesurer la pression d’une molécule, ou le nombre de configurations de l’eau dans un verre, ne rime à rien.
- Lisez. Assurez-vous de ne pas vous tromper de principe. Ne vous attaquez-vous pas au second principe que parce qu’il vous est encore mystérieux, alors que le premier ne vous fait même plus sourciller ? Ils ne sont pourtant pas fort différents… Je recommande la lecture de Philippe Depondt (L’entropie et tout ça, 2001) et des chapitres pertinents de Feynman 1964. Je pourrais aussi recommander un bon livre de thermodynamique de l’ingénieur — mais je reconnais que pour celui-là, je ne suis pas neutre…
- Dans l’éventualité où vous prendriez contact avec un/e scientifique (fussiez-vous riche et son laboratoire à sec), soyez sûr/e de vous focaliser uniquement sur la réalisation d’expériences concrètes de vérification, seules propositions ayant la moindre valeur à ses yeux. Ne lui parlez jamais de votre projet de moteur révolutionnaire : s’il y a bien une chose que l’on redécouvre régulièrement en travaillant dans un labo de recherche, c’est que les idées géniales n’apportent rien ; ce sont les expériences qui font avancer.
Bonne chance !