l’instant
May the readers who don’t read French forgive me for posting this text in its original language… a beautiful quote from Jean Sur.
L’instant n’est pas le hochet du bonheur. C’est beaucoup plus qu’un fruit à cueillir : une porte ouverte sur un absolument autre, sur un entièrement nouveau que pourtant je reconnais. Un basculement imprévu dans un mystère qui m’est à la fois étranger et familier. À l’évidence, l’instant me désigne quelque chose, m’invite à aller plus oultre. En repliant ses ailes sur le sentiment qu’il me révèle, je le trahis. Non qu’il se cache au-delà de ce sentiment : il s’y tient tout entier, au contraire, mais comme invitation, comme proposition. Ce qu’il désigne, je l’ignore ; mais je sais qu’il désigne. Rien en lui à décrypter, à utiliser. La puissance dont il est porteur est une invitation à contempler, à espérer ; la jeter dans le cabas de l’expérience, la peser sur la balance des plaisirs, c’est la faire s’évanouir. L’instant s’offre en appelant. Il se rapporte à un commencement absolu, proclame un commencement absolu. Vivre un instant comme s’il était le dernier, c’est le prendre à contresens ; ce contresens, plus lugubre que la mort, est la seule mort que nous puissions réellement rencontrer. Chaque instant est nécessairement le premier, même et surtout le dernier.
(in Le Marché, XXXV)
Jean Sur poste régulièrement ses carnets sur son site Résurgences. J’aime suivre ses réflexions aïgues et souvent amères sur notre société. Je m’y perds bien souvent, un peu déconcerté par le langage et surtout les idées —mais, et c’est remarquable, jamais sans le sourire. Les grands penseurs perchés au nez relevé m’ennuient. Jean Sur a la grandeur du philosophe sans piédéstral.