Mais où sont les livres universitaires open-source ?
Je suis revenu sur mon expérience avec mon livre de thermodynamique dans un article publié aujourd’hui sur le Framablog : Mais où sont les livres universitaires open-source ?
Je suis revenu sur mon expérience avec mon livre de thermodynamique dans un article publié aujourd’hui sur le Framablog : Mais où sont les livres universitaires open-source ?
Cette année, le projet Wikimedia Commons, la base de donnée multimédia qui se cache derrière les projets Wikipédia, fêtera son dix-huitième anniversaire. Je connais bien cette communauté puisque je m’y promène presque tous les jours, pour le travail et mon loisir, depuis dix ans. Wikimedia Commons est une caverne d’Ali Baba, incontournable pour l’édition d’un de documents éducatifs libres. C’est là que vous allez pouvoir trouver, déposer, améliorer les photos, schémas, diagrammes dont vous avez besoin : par exemple, le circuit d’eau d’une centrale thermique, une image de 400 megapixels de la baie de San Francisco, une illustration sortie d’une publication de recherche publiée en 1820 ou un schéma vectoriel illustrant la notion mathématique de dérivée en espagnol. Malheureusement, on dirait que quelque chose s’est coincé et que le projet est resté figé en l’an 2000. Me croirez-vous si je vous dis que l’entièreté du projet — son système de mesure de qualité, d’organisation interne, et surtout, toute sa base de données — est basée sur du wikitexte ? Wikimedia Commons est un projet unilingue, qui souffre d’un manque catastrophique de diversité. Il est fait surtout d’éditeurs amateurs (j’en fais partie) qui aiment bien prendre des photos de trucs dans des musées et qui passent leur temps à trier les photos une à une à la main parmi les sous-catégories de « Catégorie regroupant les Airbus A320 de la British Airways triés par aéroport » et « Catégorie regroupant les couchers de soleil photographiés depuis les plages de la région de Kerala ». Le projet a raté le cap de la vidéo, celui de l’internationalisation, celui de la transition vers les appareils mobiles, et je ne parle même pas des médias interactifs ou en trois dimensions, qui y sont complètement inconnus. Il se montre incapable d’accueillir convenablement les contributions de professionnels et d’entreprises, ce qui représente une perte énorme. En bref, ce projet a besoin d’une reprise en main et d’une feuille de route ; il faut qu’il consentisse des efforts pour diversifier sa communauté, pour s’organiser en suivant les recommandations de professionnels, pour se doter d’outils contemporains facilitant la découverte, l’utilisation et le remixage des œuvres hébergées. Sans cela, il restera simplement une « galerie d’images pour Wikipédia », passant à côté du rôle formidable qu’il pourrait jouer en devenant la banque multimédia universelle du monde de l’éducation. Je lui souhaite de réaliser tout cela cette année !
Quelques petits projets réalisés récemment parce que l’occasion s’en présentait :
Voilà pour cette année – nous reprendrons peut-être un peu plus tard.
Depuis que j’ai écrit un livre de thermodynamique, je reçois deux ou trois fois par an un e‑mail dans lequel, en substance, quelqu’un détaille un procédé ou une expérience qui va à l’encontre du second principe de la thermodynamique, avant de me demander ce que j’en pense. Je vais essayer de répondre ici de façon la plus générale possible.
La recette est la suivante. On part d’une situation quelconque dans laquelle il y a une partie froide, une partie chaude. On procède à une transformation spéciale de matière ou d’énergie. Quelquefois, on inclut un peu de poudre en faisant un passage par un domaine annexe (électromagnétisme, mécanique des fluides). À la fin, de la chaleur a été transportée de la partie froide vers la partie chaude, sans apporter d’énergie de l’extérieur. La conclusion est qu’il existe, donc, des exceptions au second principe de la thermodynamique — voyez-vous ?
La raison pour laquelle on me demande de venir prouver que le second principe s’applique bien partout et à tout moment, c’est qu’on le décrit généralement très mal dans la littérature (je suis conscient de faire partie du problème). À chaque fois, il s’agit d’une sorte de précepte compliqué et on l’assène (depuis le tout début avec la publication de Clausius de 1865) avec un trémolo solennel.
Le second principe n’est pourtant pas bien différent du premier principe, en cela qu’il exprime indiscutablement quelque chose de très mystérieux mais très simple. Nous avons une perception très directe et intime de ces deux phénomènes : d’une part il faut fournir un effort pour grimper un escalier, et d’autre part, on ne récupère pas cet effort en le redescendant. Un bébé sur sa chaise le comprend déjà : il jette le hochet par terre précisément parce que le hochet ne remonte pas tout seul. Il faut qu’un adulte le ramasse, ce qui est assurément rigolo.
Au fur et à mesure que nous explorons notre univers, nous ressentons le besoin d’expliciter ces deux ressentis et de les associer à des descriptions quantifiables : je veux savoir combien de bois il faut pour me chauffer, la taille de la batterie dont cet appareil a besoin, la puissance maximale de cette éolienne, etc. Plus nous progressons, et plus nous rajoutons des expressions : la liste des formes d’énergie n’arrête pas de s’allonger, tout comme celle des quantifications des différences d’entropie. Ce que ces expressions racontent, en revanche, ne change pas : il ne s’agit ni plus ni moins que de notre façon de « lire » les transformations de l’univers, de décrire ce qui est possible.
Répondons donc à la question : telle ou telle expérience conceptuelle met-elle en évidence une faille dans le second principe de la thermodynamique ? Non. On ne peut pas prouver le contraire d’un principe avec une expérience de la pensée. Je ne veux absolument pas condamner le fait d’imaginer de telles expériences : au contraire, c’est tout le plaisir de faire de la physique, et la meilleure façon d’apprendre (découvrir le démon de Maxwell, par exemple, c’est tout simplement jubilatoire). Mais devant une expérience de la pensée qui contredit un principe, on répondra invariablement : c’est impossible parce que cela contredit le principe. La seule chose qui pourrait démonter un principe, c’est une expérience concrète, une série de mesures expérimentales de la réalité.
Voici donc une petite checklist à parcourir pour démolir efficacement le second principe de la thermodynamique :
Bonne chance !
Je suis en âge de voter depuis quinze ans maintenant. Avec le temps j’ai, évidemment, le sentiment de mieux comprendre ce qui se passe, les compromis et les rapports des forces dans le pouvoir politique.
Mon sujet de prédilection, c’est le numérique : les mécanismes économiques et sociaux des échanges dématérialisés. De fait depuis une bonne dizaine d’années je guette attentivement ce qui se passe en France sur le sujet et qui nous mettrait sur la route d’une politique numérique. Au début j’étais très exigeant. Avec le temps j’ai accepté qu’il y a d’autres sujets importants dans le développement d’une société, que les élus ne peuvent pas tout attaquer en même temps. Au final en France depuis 2005 on n’a fait que reculer sur le sujet : tout ce qu’il y a de nouveau s’est fait en dépit des actions issues du monde politique. Mais je suis assez sage pour patienter.
Parmi ces choses plus importantes que le numérique, il y a l’afflux des réfugiés en 2014 et 2015. Pour moi c’était notre grand rendez-vous avec l’histoire ; nous l’avons manqué. Faire notre part pour accueillir ces gens est un travail plein d’emmerdements et sans réel bénéfice à court-terme, mais c’est pourtant à l’évidence la chose qu’il fallait faire; et un gouvernement est précisément fait pour ce genre de mission. Au final même Emmaüs (pas le genre à chouiner) est dégoûtée.
Mais là encore je veux pardonner — après tout je ne me suis pas tellement bougé moi-même, et je peux croire que pour l’ensemble du corps législatif, exécutif, judiciaire, il y a déjà et depuis longtemps du pain sur la planche. En vrac, on pourrait parler :
Sur ces grands classiques, je n’ai vu aucun progrès pendant les quinze dernières années. Je n’attends pas de miracle mais on pourrait au moins aborder un problème de front. Est-ce que quelqu’un de ma génération entend dans une promesse de baisse de chômage autre chose qu’une prédiction météo ? Et dans les programmes politiques, il n’y a même pas un camembert avec le budget. Finalement j’en viens à penser qu’avec une startup et 200 k€ on a plus d’impact sociétal qu’à la tête d’une machine avec 200 missiles nucléaires, une majorité législative, et un arsenal judiciaire.
Comme je ne suis pas passionné par la politique, je regarde tout ça de loin, et je peux bien comprendre que pour une équipe politique la gestion du quotidien soit si prenante qu’on puisse ne pas avancer du tout pendant des années. Je me contente de râler et de voter.
Mais depuis deux ou trois ans j’ai une boule dans la gorge qui ne fait que grossir.. J’ai vraiment le sentiment de décrire des évidences lorsque j’écris les choses suivantes :
Ces idées semblent toutes remises en question maintenant. Je suis passé de l’indifférence au dégoût, à la consternation, et maintenant, à l’inquiétude. La semaine dernière un homme est parti en prison pour deux ans pour avoir consulté des sites internet faisant l’apologie du terrorisme. La lecture de la nouvelle a été le premier moment où j’ai senti ce petit pincement au ventre, le sentiment que quelque chose est en train de mal se passer. Une petite boule de peur.
Peut-être est-ce que ça me desservira, mais j’ai besoin de l’écrire ici : j’ai peur maintenant. Je ne me sens pas protégé par les deux policiers en civil qui traversent la gare à grand pas avec chacun un fusil d’assaut. Je ne me sens pas protégé quand une banale manif de syndicalistes (que j’ai par ailleurs en horreur) est nassée place de la Bastille. Je ne me sens pas protégé par les contrôles aux frontières. Je ne me sens pas en sécurité dans un pays où les gens surveillent leurs propres lectures et ce qu’ils disent. Et je ne me sens pas en sécurité dans un pays où l’état d’urgence est éternel.
Même alors que j’ai la couleur de peau qui va bien, Je suis le mec qui se fait contrôler dans la rue pendant vingt minutes parce qu’il passe à vélo à côté d’une manif d’extrême droite. Le mec qui ne monterait jamais dans un train sans payer son billet mais qui a une fois par an des ennuis avec les contrôleurs. Le mec à qui le gentil gars de la sécurité demande son ticket de caisse à la sortie du magasin, sauf lorsqu’il porte une cravate. J’ai plein d’ordinateurs, je canalise de la bande passante pour trente personnes, et j’ai écrit un billet sur la liberté d’expression d’un gros raciste. Maintenant j’ai la sensation qu’on va me demander de me justifier de tout ça, et qu’il faut que je me réjouisse de ne pas être musulman.
En tant qu’électeur, je me sens trahi. Je me suis dit qu’à présent j’irais voter pour la première personne qui irait dans le sens d’un rétablissement des libertés individuelles. Mais dans le fond je crois déjà savoir que je n’irai plus jamais voter.
[Ceux que l’on appelle à tort les « natifs numériques » ] sont semblables à toutes les générations qui suivront. Leur spécificité, c’est d’avoir du se construire comme individus dans cet univers alors que dans leur grande majorité, leurs parents et leurs professeurs en étaient absents, et par là incapables d’installer un environnement favorable à cette construction. Il fallait donc les appeler des orphelins numériques.
Par Philippe Aigrain (Les orphelins numériques peuvent-ils éduquer leurs parents politiques ?), que j’ai toujours autant de plaisir à lire et parfois l’occasion d’écouter. Plus le temps passe et plus je m’attache au sens des mots ; j’imagine que c’est un signe de vieillissement…
Trois quarts d’heure de queue devant le bureau de vote ce matin. Toutes ces histoires de campagne m’ennuient à ne plus finir, mais je me réjouis de voir tant de personnes faire un effort pour un dix-millionième de quelque chose.
~ un e‑mail écrit en mai 2011 ~
Finalement, elle n’a pas acheté le bel ordinateur blanc. Mais d’une manière ou d’une autre, elle est formidable, ma sœur.
[…] Si vraiment tu reprends la racine de ce jeu informatique que tu décris, tu retombes sur l’« in-forme », le partage de constructions de l’esprit. Le cluster, machines lointaines dans un sous-sol contrôlées depuis le bout des doigts dans un jardin.… Sweave, le mélange de deux des plus purs et libres langages de partage d’idées… SVN, le partage structuré en dépôts (et attends seulement de découvrir git !)… tout le plaisir vient de l’ingéniosité que l’on déploie soi-même pour travailler.
Le monde d’Apple est le partait opposé de tout cela. Depuis le plus petit bout de logiciel auquel l’on confie ses données jusqu’au dernier bout de plastique sur le boîtier, le Mac est travaillé, abouti, peaufiné, et… fermé. Il émane de cette entreprise un désir profond et constant de faire de chaque utilisateur un consommateur épanoui, satisfait d’utiliser un produit lissé et contrôlé, gardé propre et sûr par la grande maison de Steve Jobs.
Le fluide et élégant logiciel OSX ? Tu n’es pas digne de la confiance de Steve pour qu’il te montre vraiment ce qu’il fait, ou te le laisse partager avec ton voisin, même si tu peux toujours consommer de la musique-et-des-films-qui-disparaissent avec iTunes. Le bel et émouvant hardware, qui fait envie à tant d’entre nous ? Tu es bien trop bête pour en ouvrir le boîtier toi-même. Seuls les employés de Steve pourront facilement en changer la batterie, avec les tournevis spéciaux qu’ils ont fabriqué pour.
L’idée dans tout ça, est bien sûr de finir par te faire acheter un iPhone ou un iPad, sur lesquels j’essaierai de ne pas m’étendre… l’achat consacrerait Steve comme ton deuxième Papa, puisque tous tes appels, contacts, fichiers, déplacements, e‑mails et lectures seraient enregistrés dans sa maison. Machines tellement épurées, abouties (et je suis moi-même ébahi de cette excellence), qu’il aura purement et simplement fallu bannir les logiciels libres de leur App Store, pour nous protéger d’un malsain désordre.
Enfin bon, je m’emporte un peu, mais je voulais juste dire que cette joie d’expérimenter soi-même est finalement ce qui compte le plus dans l’informatique. La première commande à distance, le premier commit SVN, la première compilation Latex, la première installation d’un AdBlock Plus, d’un Firefox, le premier « Sauvegarder sous… » sont des étapes fondamentales, des petites prises de pouvoir, une progression dans l’idée, une petite victoire de l’immatériel sur le triste matériel.
Comme je veux célébrer ces victoires in-formatiques, je serais triste de te voir encadrée par une entreprise qui les combat toutes car les utilisateurs libres comprennent trop tôt qu’un fichier n’est qu’un nombre, qu’un “streaming” n’est qu’une restriction, et que leur curiosité les élève.
Et c’est pour ça que le Mac me fait lorgner mais que l’ordinateur moche et lourd emporte mon cœur. Le premier a un logo corporate luminescent au dos de l’écran ; le second pourrait tout autant avoir un autocollant qui dit : my hardware sucks because my software is awesome.
XO
Olivier.
J’ai donné au printemps un cours nommé « Aspects of Aircraft Design and Control ». Comme pour tout nouveau cours cela a été très éprouvant et très enrichissant. Le déroulement du cours, dont le cœur est fait de projets et non de cours formels, a été plein de surprises de toute sorte, que j’ai encaissées comme je l’ai pu.
Je savoure les joies de mon premier été sans devoirs de vacances : aucun nouveau cours n’est dû pour la rentrée. J’ai donc pu m’offrir le luxe de revenir sur l’ensemble volumineux de diapositives, calculs, photos, scans et schémas vectoriels du cours pour les ordonner, les compléter et surtout les publier. Pour chacun des huit chapitres, je n’ai pas pu m’empêcher de revivre les sessions en classe vécues au printemps, ni de recueillir toutes les réflexions et commentaires qui me sont venus.
Je vais ainsi encombrer ce blog d’une dizaine de billets qui retracent le périple au fur et à mesure que j’en publie les documents. J’espère qu’étudiants, collègues et lecteurs de tout bord n’hésiteront pas à y laisser des commentaires, quelle qu’en soit la langue ou le ton.
Je traverse une période épuisante en ce moment mais je m’autorise à lever le pouce quelques instants pour parler de la Quadrature du Net.
La Quadrature du Net est un petit groupement de passionnés qui défend sans relâche cette idée que le fonctionnement d’Internet est intrinsèquement lié à quelques grandes libertés de l’être humain. Depuis plus de deux ans ses membres informent le public et les législateurs, trient l’information, commentent les propositions de loi, et bataillent sans relâche en France et en Europe pour que vous et moi puissent aller et venir librement sur les réseaux chaque matin.
Je peux témoigner de leur mérite puisque j’ai rencontré plusieurs fois deux des principaux membres. Jérémie Zimmermann est jovial, infatigable et pragmatique, c’est lui surtout que l’on voit monter aux créneaux médiatiques. Benjamin Bayart est lucide et pédagogue, et c’est lui qui m’a en tout premier montré les grandes clés du plus formidable réseau de l’histoire de l’humanité. Ce sont des gens super. Il y a aussi Philippe Aigrain, notre philosophe de la culture digitale à nous et qui alimente la Quadrature en idées de fond sur l’après — l’après toutes ces bêtises comme l’Hadopi ou la Loppsi ou l’Acta et tous ces frankensteins punitifs qui perdent l’un après l’autre leurs jambes dans le quotidien des usages informatiques.
Aujourd’hui j’ai écrit à la Commission Européenne qui avait demandé des commentaires sur un autre texte, appelé IPRED. Évidemment comme mon métier est de pétrir de l’information et que le fais avec un ordinateur, j’avais des choses à dire, et ça m’a pris presque une heure. Mais je pense que n’importe qui qui s’intéresse aux débats autour du partage informatique pourra comprendre l’essentiel du texte, et écrire quelque chose de pertinent en un quart d’heure. Chaque e‑mail envoyé compte, et la date limite, c’est demain. Vous êtes cap’?
L’autre chose que j’ai faite aujourd’hui c’est un don à la Quadrature, qui en a besoin maintenant pour passer l’année. Là, ça me prend pas mal plus d’une heure pour gagner l’argent donné, mais je sais qu’il va dans bonne direction. Et de toute façon, ça prend toujours moins de temps que celui qu’il faudra pour faire effacer toutes ces bêtises de nos carnets de lois, une fois que tout le monde sera fatigué de toujours demander la permission de reproduire.
©CC-by-sa by Olivier Cleynen
(more by Olivier: thermodynamique, fluid mechanics, mécanique newtonienne)
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